Comment construit-on la performance au plus haut niveau, année après année, défi après défi ? Quelle place donner à la préparation mentale, à la nutrition, à la récupération, à l’intuition ou à la science, lorsqu’on vise l’excellence et la longévité ? C’est ce qu’explorent Teddy Riner et Julien Corvo dans ce nouvel épisode de Healthier Humanity.
Figure emblématique du sport français et mondial, triple champion olympique, Teddy Riner partage, aux côtés de son préparateur physique et mental Julien Corvo, une vision globale, humaine et innovante de la performance. Ensemble, ils dévoilent les coulisses d’une préparation qui va bien au-delà du tatami : gestion du doute, hygiène de vie, adaptation aux profils individuels, rôle du sommeil, de l’alimentation, des micro-ajustements… tout y passe.
Écoutez l'épisode ici 👇 🎙️Spotify 🍎Apple podcast 🎧YouTube Podcast
Teddy Riner raconte comment il a intégré, très jeune, la préparation mentale, et comment il adapte chaque détail de son quotidien pour durer et continuer à gagner. Julien Corvo, lui, partage son expertise sur les neurotypes, la personnalisation de l’entraînement et la nécessité d’écouter autant le corps que l’esprit : « Il n’y a pas de méthode miracle, il y a une méthode sur-mesure pour chaque athlète. »
Dans cette conversation riche et inspirante, nos invités partagent :
Cet épisode est un voyage dans l’univers de la haute performance, mais aussi un guide pour tous ceux qui veulent mieux se connaître, se dépasser, et construire leur propre chemin vers la réussite… sur le tatami comme dans la vie.
Jean-Charles Samuelian : Imaginez un monde où nous vivrions en meilleure santé, plus longtemps, avec plus d'énergie et moins de stress. Bienvenue dans le podcast Healthier Humanity. Je suis Jean-Charles Samuelian-Werve et j'interview des experts à la renommée mondiale, des athlètes de haut niveau ou des leaders visionnaires pour parler du futur de la santé, du bien-être et de la longévité. Je suis ravi que vous vous joigniez à nous dans ce voyage. Aujourd'hui, j'ai l'immense honneur d'accueillir... non pas un, mais deux invités exceptionnels. Merci beaucoup d'être là, Teddy et Julien. Alors, légende vivante du sport français et mondial, je dirais même, Teddy Riner, accompagné de son préparateur physique et mental, Julien Corvo. Merci infiniment d'être avec nous aujourd'hui à tous les deux.
Teddy Riner : Merci.
Jean-Charles Samuelian : Teddy, tu es tout simplement l'un des plus grands judokas de tous les temps. Ce n'est pas que moi qui le dis. Avec un palmarès qui donne le vertige : trois médailles d'or olympiques individuelles, deux médailles d'or olympiques par équipe, 11 titres de champion du monde, une série de 154 victoires consécutives qui a duré près d'une décennie. C'est plus que deux jours d'affilée que j'ai fait dans Duolingo. Et Julien, tu es l'architecte derrière la préparation physique et mentale de Teddy depuis plusieurs années. Tu as joué un rôle crucial dans sa préparation pour les Jeux de Paris 2024, en mettant en place des méthodes d'entraînement innovantes dont on a déjà discuté et dont je suis très heureux qu'on fasse découvrir à notre audience aujourd'hui. Votre coopération a commencé après le tournoi de Paris 2020, si je me souviens bien. Et vous avez parcouru ensemble plus de 9 pays, des camps d'entraînement, des stages, travaillant sans relâche sur tous les aspects de la performance. Donc, aujourd'hui, j'ai envie qu'on creuse un peu tout ça, cette approche holistique de la performance, de la santé, de la préparation. Mais pour commencer, et pour comprendre très rapidement vos parcours respectifs, Teddy, comment est-ce que tu t'es initié au judo ? Comment ça a commencé pour toi ?
Teddy Riner : Moi, j'ai eu la chance d'avoir des parents qui, parce que j'étais débordant d'énergie à un certain âge, m'ont inscrit à un multi-activités à L'Aquaboulevard. Donc, il y avait escalade, natation, golf, squash, tennis, modern jazz, judo. Et peut-être certaines autres activités que je vais oublier. Je faisais tout ça le mercredi et le samedi. Et en plus, j'ai rajouté le mardi et le jeudi le foot. Moi, j'adorais. J'aime le sport. C'est quelque chose qui fait partie de ma vie. Et à un certain moment, vers les 12-13 ans, j'ai dû faire un choix entre le judo et le foot. Le foot, c'était les détections, sauf que c'était un sport d'équipe, ça nous arrivait de perdre. Et le judo, c'était un sport individuel. Et j'avais déjà de très bons résultats. Donc, j'ai eu une discussion avec chacun de mes entraîneurs. Et je suis parti plus au niveau judo. Et je crois que je n'ai pas fait un mauvais choix.
Jean-Charles Samuelian : C'était une bonne décision. On ne sait pas. Peut-être que tu aurais été aussi 150 fois Ballon d'or. On en a parlé il y a quelques jours.
Teddy Riner : C'est vrai.
Jean-Charles Samuelian : Tu pourrais faire comme Michael Jordan. Julien, comment tu es arrivé dans la préparation sportive de haut niveau ?
Julien Corvo : J'ai commencé par les cuisses abdos fessiers, faire souffrir les petites dames le samedi matin, ce genre de choses. Ensuite, je me suis dirigé vers la préparation individuelle, donc en salle. Et petit à petit, j'ai essayé de comprendre comment un athlète fonctionne, ce qu'il lui faut pour performer. Et je me suis intéressé à ce qui se passait ailleurs, notamment avec des préparateurs au Canada, ce genre de choses. Et finalement, j'ai pensé à une méthode qui pouvait être importante et nécessaire pour les athlètes. Je l'ai mise en place avec des personnes lambda. Il y a eu de bons résultats. Et derrière, je l'ai proposée à Teddy sans relâche, parce qu'il n'était pas forcément attiré par ça au départ. Et au fil des semaines, des mois, il est revenu vers moi. Finalement, peut-être qu'il va le raconter mieux que moi.
Jean-Charles Samuelian : C'est intéressant de savoir comment vous avez commencé la collaboration. Du coup, quelle est ta version, Teddy ?
Teddy Riner : En fait, Julien a toujours été un petit peu à mes côtés parce que c'est quelqu'un que j'apprécie. Et c'est comme s'il était un membre de la famille. Plusieurs fois, il venait et me disait... Il posait des questions, mais avec la réponse. Mon oreille ne prêtait pas forcément attention. Lorsqu'on est dans un moule, un cadre qu'on a toujours connu, on ne se dit pas forcément "qu'est-ce que je vais faire de ce côté-là". Moi, c'était plus axé judo, c'était plus axé préparation mentale, mais pas forcément préparation physique, nutrition, santé. Santé, plus, plus, plus. Et un jour, mon oreille s'est prêtée à lui. Parce que je me remettais en question après une défaite sur un tournoi, l'une des premières de ma carrière. Donc, pas évident. Ce n'était pas la mer à boire, mais il faut se poser des questions quand il y a une première défaite. Et j'ai commencé à travailler avec lui, tout en continuant à me remettre en question. Et j'ai vu que sa méthode portait ses fruits. Donc, du coup, à ce moment-là, j'ai dit, je te donne les clés, vas-y, montre-moi le chemin pour continuer dans ma préparation, continuer à gagner des médailles. Et surtout, avoir une santé de fer. Et c'est vrai que je ne peux rien dire. Je ne peux rien dire puisque ça marche, puisque je me sens mieux, puisque j'ai l'impression de rajeunir. Et puis, surtout, je vois mes performances physiques, ma façon aujourd'hui de me nourrir, ça m'a juste permis d'être meilleur. On n'a rien à dire. Je ne peux apporter aucune négativité sur sa façon de travailler.
Jean-Charles Samuelian : Le test est adopté.
Teddy Riner : Voilà, c'est ça. C'est un petit peu ça.
Jean-Charles Samuelian : Et est-ce qu'il y a eu des moments - et après, on va creuser un peu tous ces sujets-là, qui sont passionnants - mais dans votre collaboration, est-ce qu'il y a eu des difficultés à certains moments ? Comment vous les avez surmontées ensemble ?
Teddy Riner : En fait, oui, il y a eu des difficultés. Quand vous intégrez à un staff qui a toujours été à vos côtés une nouvelle personne, le temps qu'ils digèrent tout ça, ça met un petit peu de temps. D'ailleurs, quand ils voient de leurs yeux la progression de leur athlète, là, ils commencent à se dire, peut-être qu'il a bien fait. Ensuite, quand on voit le travail, le changement que ça peut apporter sur un athlète, on se dit que c'est la clé, c'est comme ça qu'il faut travailler. Mais il y en a qui vont penser qu'en recopiant sur des papiers ou en prenant des notes, ça suffit. Non, il y a du travail derrière. On ne devient pas un spécialiste de la haute performance comme ça. C'est du travail, c'est, je pense, des années d'études. Et après, c'est la bonne personne. En tout cas, depuis que j'ai commencé à travailler avec lui, je ne peux rien dire. J'ai fait mes meilleurs judos, j'ai eu mes plus beaux Jeux olympiques. Si on devait me dire à combien de pourcents il est dans la réussite de cette médaille, je dirais 60 à 70%, modestement. Quasiment. Voilà.
Julien Corvo : Merci, merci.
Jean-Charles Samuelian : Incroyable. Et avant de creuser là-dedans, c'est quelque chose que tu as mentionné sur la préparation mentale. Et la première fois qu'on avait échangé, ça m'a beaucoup marqué. Tu es un des rares athlètes, en fait, je pense, qui a consulté un psychologue du sport dès l'âge de 14 ans. Est-ce que tu peux nous raconter un peu ce processus et comment ça t'a accompagné dans ta carrière et ton parcours ?
Teddy Riner : En fait, tout à l'heure, tu disais Julien, préparateur mental. En fait, Julien n'est pas forcément préparateur mental, mais en fait, il l'est parce qu'à un moment, il doit parler à l'athlète. Quand je dis que je ne suis pas un athlète, je sais qu'il en a d'autres, mais moi, parfois, il me fait de la préparation mentale. Sa carte, c'est vrai, c'est beaucoup la préparation physique, mais il a une casquette aussi de nutrition. Donc, c'est vraiment une personne multitâche. Et moi, pourquoi j'ai très tôt, à l'âge de 14 ans, je suis allé voir une psy ? En fait, quand vous rentrez à 14 ans à l'INSEP et qu'on vous dit que vous êtes l'avenir, vous êtes le futur, et que vous êtes confrontés sur le tapis à des adultes qui sont en équipe de France. Vous n'êtes que cadets. Et qu'ils doivent soi-disant prendre soin de vous. Au lieu de ça, bah...
Jean-Charles Samuelian : Je ne sais pas ce que ça veut dire.
Teddy Riner : Ils vous mettent la misère, en tant que non. Ils vous mettent la misère. Comment se relever ? Comment assimiler ça quand vous êtes un jeune qui est en devenir, mais qui doit prouver ? Donc, ouais, je suis allé voir un psychologue pour ça. Je suis allé voir un psychologue aussi pour préparer mes compétitions. Parce que je ne voulais pas... si la pression arrive, être dans l'incapacité de pouvoir exploiter ce que je sais faire de mieux, combattre, être sur le tapis, trouver la solution dans un combat. Et puis, par la suite, ça a été m'accompagner en tant que personne qui réussit, personne qui est sollicitée. Bien grandir dans ses baskets, devenir l'homme que je suis devenu aujourd'hui, multi-casquette. Et puis, la chose que j'ai découvert à chaque fois que j'en parlais quand j'étais jeune, c'était que les gens avaient peur. Ils étaient effrayés par le mot "psy". En France, on est flippé par ce mot. Parce qu'il l'assimile à un problème, à psychiatrie, à prise de médicaments.
Jean-Charles Samuelian : Mes deux parents sont psychiatres, donc j'ai vu le regard sur eux et sur moi. Voilà, c'est dingue. Je sais de quoi tu parles.
Teddy Riner : Souvent, je dis aux gens, mais remplacez le mot psychologue par thérapeute, un ami, quelqu'un avec qui vous allez vous confesser, qui va vous aider à grandir, à mûrir, à prendre de bonnes décisions. Et c'est vrai, quand on la joue comme ça, de ce côté-là, les gens ont une autre vision. Et puis, voilà, plus on en parle, plus les gens comprennent ce mot, plus ils comprennent l'importance de consulter, puisque ça aide, c'est un plus dans la vie.
Jean-Charles Samuelian : Merci de partager ça. Et dans cette préparation mentale, par rapport à la partie préparation physique et technique, quelles sont un peu tes méthodes pour garder l'esprit clair avant et pendant ? Est-ce que tu as des choses que tu peux raconter ?
Teddy Riner : Oui, je suis un peu avec ça. Par exemple, je sais qu'à chaque fois que je monte sur un tapis, je dois l'accepter avant même de monter, même si attention, je suis un mauvais joueur. Quand tu montes sur un tapis ou sur une compétition, tu ne dois jamais oublier que tu peux gagner ou perdre. Maintenant, c'est à toi de décider ce qui va se passer dans ton scénario. Être acteur de ton combat et non spectateur, ça change beaucoup de choses. Ne pas être attentiste, ne pas penser à la défaite. Si tu veux gagner, tu vas sur cette ambition, je dois savoir pourquoi tu y vas. Après, c'est toujours aussi une question d'entourage. Moi, j'ai la chance d'être bien entouré. Souvent, on dit, certains sportifs ont la grosse tête. Oui, il y a de leur part à eux, mais aussi la part de l'entourage qui, par exemple, ne va pas vous dire non. Il va vous dire oui, il va aller tout le temps dans votre sens et vous faire croire que vous êtes une merveille. Ça passe par là.
Jean-Charles Samuelian : Et toi, dans ta pratique, Julien, sur justement l'aspect préparation mentale, qui est une des briques auxquelles tu réfléchis, comment tu l'as approchée, comment tu la gères avec Teddy aussi ?
Julien Corvo : Dans un premier temps, il faut le connaître par cœur, savoir comment il fonctionne, comment il réfléchit, quels sont ses doutes, quelles sont ses craintes s'il en a, et trouver les meilleures solutions possibles pour qu'il atteigne un état d'esprit où la défaite, ce n'est pas qu'elle est interdite, mais il ne peut pas perdre. Il ne peut pas perdre parce que c'est le meilleur. Il a travaillé dur pour ça, ses adversaires aussi forcément, mais d'arriver à être très concentré, à être déterminé, mais en ayant en même temps une phase où on est relâché, on a du plaisir, ce sont pour moi les deux combos qui font qu'un athlète atteint la plus haute performance. Pour Teddy, c'était le côté déterminé et compagnie. C'est très facile parce qu'il l'a pour tout. On va jouer au Monopoly, c'est la troisième guerre mondiale, j'ai dit souvent. Et sur le côté relâchement, il n'a pas l'air comme ça parce qu'il peut sembler paraître quelqu'un de très sûr de lui, quelqu'un qui n'a aucune faille. Je le connais très bien. Il a quand même des petits doutes. Il peut avoir des petits doutes. Et puis, l'idée, c'est d'effacer tout ça, d'enlever tout ça. Et je pense qu'on l'a très bien fait pour les derniers Jeux à Paris.
Jean-Charles Samuelian : Et ça, tu as une méthode ? C'est en reformulant ? C'est en les creusant ?
Julien Corvo : En réalité, c'est adaptatif. C'est-à-dire, je vais le préparer d'une manière à laquelle je ne vais pas te préparer. Parce que tu fonctionnes différemment. Donc, une méthode de base, une colonne vertébrale, effectivement, mais ensuite, il faut savoir l'ajuster et au bon moment. Parce que tu as dit, voilà, il a des petites... C'est comme pour les tirs à la chasse. Il y a des fenêtres. On ne peut pas tirer à n'importe quel moment. Et si on arrive à fusionner à ce moment-là...
Jean-Charles Samuelian : C'est bon. Très bien.
Teddy Riner : La métaphore...
Jean-Charles Samuelian : Est-ce que pendant que t'es sur le tatami, t'as aussi des moments de doute ? Est-ce que t'as des petites méthodes pour te recadrer dans ces moments-là ?
Teddy Riner : C'est pas que sur le tatami, j'ai des moments de doute tout le temps parce que c'est ma nature. Et je pense que c'est ce qui me fait me remettre en question. Ne jamais penser qu'on est le meilleur ou qu'on est trop sûr dans les prises de décision qu'on peut avoir dans la vie de tous les jours. Soit j'en parle à Julien, soit j'en parle à Myriam, qui sont vraiment autour de moi, c'est-à-dire mes mentors, ceux qui m'aident à réfléchir ou à me poser les bonnes questions.
Jean-Charles Samuelian : Qu'est-ce que tu fais quand le doute t'anime ? Vous le disiez même pendant le combat ?
Teddy Riner : Pendant le combat, oui. À partir du moment où je monte sur le tapis, je sais à peu près ce que je dois faire. Et avec tout ce que je travaille à l'entraînement, c'est là où je me retire le plus de pression. Quand j'arrive en compétition, je sais ce que je dois faire sur chaque adversaire et avoir à chaque fois une, deux, trois idées à mettre en place pour pouvoir trouver la solution.
Jean-Charles Samuelian : Donc, en fait, c'est la préparation qui te...
Teddy Riner : Permet d'enlever tout cela. Si je ne fais pas ça à l'entraînement, le jour J, premier tour, bonne journée, au revoir, je rentre chez moi.
Jean-Charles Samuelian : Comme quoi, c'est toujours une question intéressante. Merci beaucoup pour ce partage. Maintenant, j'aimerais beaucoup qu'on creuse un peu sur cet aspect holistique de la performance et de ce que vous avez construit ensemble. On a parlé, on a commencé à toucher le sujet de la nutrition. Et je serais hyper intéressé d'avoir votre perspective à tous les deux, de peut-être, toi, ce que tu faisais avant, Teddy, et ce que tu fais maintenant, et toi, Julien, un peu, comment tu as réfléchi à ça, et comment tu as aidé à construire ce programme nutritionnel avec Teddy.
Teddy Riner : Moi, en fait, quand j'étais plus jeune, j'ai vu pas mal de nutritionnistes, j'ai vu pas mal de préparateurs physiques. En fait, je fais un mix. Pourquoi ? Parce qu'en fait, pendant des années, on vous met dans des rails, mais on ne sait pas pourquoi. La muscu, moi, j'ai toujours fait ce qu'on m'a dit. Sans savoir ce que je travaillais, sans savoir pourquoi je travaillais, à part peut-être, oui, protéger tes muscles, protéger tes articulations. D'accord, très bien. Avec ça, on est avancé. Aujourd'hui, en travaillant avec Julien, c'est vrai que je sais pourquoi je travaille, pourquoi je le fais, quelles sont les chaînes de muscles que je fais, quelle va être leur valeur dans ma vie de tous les jours. Et quand je mange, je comprends ce que je mange. À l'époque, moi, pendant toute mon adolescence, on me faisait un dessin. On disait, voilà, tu divises ton assiette en trois. La viande d'un côté, les féculents de l'autre, et les légumes. D'accord, mais pourquoi ces légumes-là ? Voilà, même pas. Même pas, pourquoi ces légumes ? Quel genre de légumes ? Est-ce que j'ai le droit à de la sauce ? Quel genre de féculents ?
Jean-Charles Samuelian : Ok, c'était à ce niveau-là de l'intuition.
Teddy Riner : Parfois, on parle de haut niveau, mais il y a le haut niveau, et je dirais même qu'il y a la haute performance dans le haut niveau. Et quand tu as compris tout ça, et quand tu as mis ces ingrédients-là autour de toi, il n'y a plus qu'à. Et tu es encore mieux pour performer.
Julien Corvo : La nutrition, une grande histoire.
Teddy Riner : Parce que...
Julien Corvo : Sans vous le cacher, il est très gourmand. Quand on lui parle de crêpes...
Teddy Riner : De gaufres, c'est vrai. Tiens, je vais aller m'en manger une. Il a le droit.
Julien Corvo : Il a une superbe médaille, donc il a le droit, il va avoir un an, il peut être tranquille. Non, non, non, fais attention quand même, mais l'important pour Teddy, c'était déjà de savoir comment il fonctionne encore une fois. C'est la même chose que pour l'entraînement physique. C'est-à-dire, j'observais comment il était, comment il fonctionnait et je me suis dit : non, ce n'est pas le type de personne qui est capable de faire attention d'un point de vue alimentaire pendant des semaines et des mois et des mois et des mois, en étant hyper strict, hyper rigide. Donc, en me calant sur sa manière de fonctionner, c'est-à-dire quelqu'un qui a un profil neurologique de sprinter, on a mis en place des petites phases où on fait attention à son plan alimentaire. Voilà, ne pas le priver à 100%. Lui laisser de temps en temps la possibilité de prendre une petite crêpe ou quelque chose qui y ressemble. En tout cas, pour qu'il y ait une satisfaction, qu'il ne sente pas que c'est trop dur. Et finalement, au fil des jours, en général, à la pesée, il a un poids qui lui permet de pouvoir pratiquer son judo.
Jean-Charles Samuelian : Et justement, comment tu réfléchis, à quel point tu peux personnaliser le régime alimentaire au-delà du mix féculent, viande, légumes, qui est en effet assez limité ? Est-ce que maintenant vous poussez ? Est-ce que vous avez fait des tests avec des moniteurs de glucose... ? Enfin, à quel point vous avez utilisé la technologie ? C'est le ressenti ? Comment vous réfléchissez à ça ?
Julien Corvo : Non, non. On n'a pas eu besoin de tous ces outils. Teddy est arrivé aux Jeux avec un poids de 141.2 kg. Alors, on ne peut pas le voir, il est habillé, mais il était très strié. Les abdos apparents, les gros pectoraux. Et c'est ce qui... c'est une très grosse partie de sa réussite dans son judo. C'est-à-dire que c'est quelqu'un qui a un très, très haut niveau de judo. Je lui répète souvent. D'ailleurs, la première fois que je lui parlais de ça, il m'a dit, "De quoi tu parles ?" Mais en fait, il comprend vite, il voit vite, il voit avant tout le monde. On lui explique une fois, il sait déjà le reproduire. Donc, sa partie physique, quand elle est bonne, c'est déroulant. Elle a le garant de gagner. Et on n'a pas eu besoin d'outils majeurs pour arriver à ça.
Jean-Charles Samuelian : C'est un sujet intéressant. Et donc, si tu me conseillais, par exemple, de réfléchir à ma nutrition et de la changer, comment tu l'approcherais ? Quelle serait la discussion qu'on aurait ? Qu'est-ce que tu me dirais ?
Julien Corvo : J'observerais comment tu fonctionnes, comment tu es. À savoir si t'es quelqu'un d'endurant ou pas, si t'es quelqu'un qui aime les challenges ou pas, si t'es quelqu'un qui aime se faire mal, violence ou pas. Et à ce moment-là, un ajustement en termes de durée, en termes de fréquence, en termes de dosage, se met en place très naturellement. Le côté challengeant aussi, par rapport à la personne, il ne faut pas se tromper. Voilà, Jean-Charles, tu sais que... par exemple, avec toi, si on part sur trois mois de diète, j'aurai aucun problème.
Teddy Riner : Tu le sens déjà ?
Julien Corvo : Oui, je sais. Et on peut lui demander.
Jean-Charles Samuelian : Je suis assez discipliné.
Julien Corvo : Teddy, pas possible. Enfin, pas possible.
Teddy Riner : Il le fera. Mais rien n'est impossible.
Jean-Charles Samuelian : Il compétit. Il le fera.
Teddy Riner : Qu'est-ce qu'il y a au bout ? S'il y a des crêpes au bout, il y a moyen que...
Julien Corvo : Mais avoir l'œil au départ, ne pas se tromper...
Jean-Charles Samuelian : Il y a un mot que tu as utilisé, sauf si tu voulais rajouter quelque chose. Non, non, non. Il y a un mot que tu as utilisé, que j'aimerais bien qu'on creuse ensemble, c'est celui de profil neurologique. Tu as dit que Teddy est un sprinter, je crois. Comment tu définis ces différents critères de profil neurologique et à quel point ça a un impact sur la préparation ? Toi, tu t'es reconnu là-dedans aussi Teddy ? Je suis intéressé d'avoir un peu votre perspective sur ce sujet-là.
Teddy Riner : Moi, déjà, j'avais remarqué, sans forcément travailler avec Julien, que tu ne peux pas entraîner un athlète de la même manière que tout le monde. Ça serait une erreur. Parce qu'on est tous différents. Et en travaillant avec Julien, j'ai pu apprendre pas mal de choses qui font que, oui, on est tous différents, mais il y a des neurotypes qui font que, lui, tu vas pouvoir l'entraîner comme ça parce que tu sais que c'est ce mode-là. Moi, par exemple, je sais que c'est ce mode-là et que ça va fonctionner. Et donc, tout ce qu'il m'a proposé, je vais adorer. Quand il m'a étudié et qu'il a mis tel format sur la nutrition, tel format sur la musculation, oui, ça a marché parce que je pense qu'il avait les clés.
Julien Corvo : Et ça lui donne l'impression de... de voler, je trompe, hein ? De travailler, mais sans... Alors oui, il y a des efforts. Mais en tout cas, pas les efforts qu'il avait fournis auparavant.
Teddy Riner : Sans laisser des plumes, sans de la contrainte.
Julien Corvo : Exactement.
Jean-Charles Samuelian : C'est courir face au vent ou avec le vent dans ton dos.
Teddy Riner : C'est exactement ça. C'est exactement ça.
Julien Corvo : Exactement. Ça lui permet de travailler correctement, mais forcément, le corps récupère mieux derrière. Et en récupérant mieux, il peut retourner au boulot les jours suivants. Il ne peut pas avoir des courbatures pendant des jours et des jours, ou se sentir fatigué et ne plus avoir envie d'aller dans le gym. Donc oui, se focaliser, se calquer sur le profil de la personne, c'est primordial.
Jean-Charles Samuelian : Et ce profil, ces neurotypes, tu les détectes comment ? Tu as une grille, tu as un questionnaire ?
Julien Corvo : Oui, il y a plusieurs manières. Je suis avec lui très régulièrement, donc je le vois. J'ai une sensibilité aussi, qui fait qu'assez rapidement, j'arrive à apercevoir comment peut être une personne ou pas. Et lorsque je n'ai pas la personne devant moi, effectivement, on a des grilles, des questionnaires qui permettent justement de ne pas se tromper et d'aller dans le bon neurotype. Parce que, entre guillemets, si j'entraîne Teddy comme je t'entraîne, à mon avis, au bout de quelques semaines, ça va être compliqué. Et l'inverse est réel. Et l'inverse est réel.
Jean-Charles Samuelian : Ça m'intéresse beaucoup de creuser encore un tout petit peu ça. Qu'est-ce qui fait justement ces différences-là ? Quelles sont les questions que tu poses le plus qui te permettent de détecter rapidement ?
Julien Corvo : J'essaie de savoir, par exemple, si la personne est un leader, de savoir si c'est quelqu'un de réservé, si c'est quelqu'un de stressé, si c'est quelqu'un qui a beaucoup d'affect.
Teddy Riner : Voilà, ça joue beaucoup.
Julien Corvo : Et toutes ces petites indications me permettent, à un moment donné, de choisir entre les différents profils qui existent.
Jean-Charles Samuelian : Extrêmement intéressant.
Julien Corvo : Je pense que c'est l'avenir. C'est l'avenir. Dans 5 ans, 10 ans, tout le monde se cadrera sur ce genre de choses. Donc non, non, c'est hyper important.
Jean-Charles Samuelian : Et du coup, ça ressemble à quoi ta préparation ? T'as dit avant les JO, à quel point ça varie dans le temps et à quel point ça s'adapte, ça change ?
Teddy Riner : Pas tant que ça, parce que moi, en fait, j'ai connu pendant une grande partie de ma carrière, dès le moment où tu t'entraînes tous les jours à un certain niveau, et quand tu as la préparation, tu t'entraînes pendant trois mois à un certain grand niveau. Et en fait, avec Julien, sa méthode et le nouveau staff qu'on a mis en place, on s'entraîne toute l'année. Il y a des piqûres de rappel, on va faire deux semaines d'un gros bloc de musculation, mais c'est toujours comme ça, crescendo. C'est pas des pics, on continue et du coup, t'arrives pas fatigué, t'arrives en pleine forme. Je dirais que c'est plutôt ça. Qu'est-ce que c'est une semaine type ? Ça va être 3-4 fois muscu par semaine.
Julien Corvo : 2-3 fois, oui.
Teddy Riner : Avec un peu de technique et un peu de judo, mais c'est jamais tout, tout, tout à un certain... Non, c'est bien rythmé, franchement.
Julien Corvo : En réalité, c'est son ressenti. C'est son ressenti. Lui, pour lui, il n'a pas l'impression qu'on va chercher les hautes sphères. Mais justement, c'est parce qu'on est calé sur son profil. C'est-à-dire que quelqu'un qui aurait un autre profil avec les mêmes entraînements, lui, il dirait "Oh, il peut faire des thèmes, moi j'en ai un."
Teddy Riner : Et on l'a vu parce que j'ai invité, par exemple, Fabrice. Vous voyez le monstre que c'est physiquement ? Il n'a pas tenu la séance. Au bout de quelques répétitions, il a dit "Je ne peux pas". Oui,
Julien Corvo : Dès la première.
Jean-Charles Samuelian : Pour toi, c'est assez standard.
Teddy Riner : Ouais, elle est exceptionnelle. Pourtant, je ne suis pas du tout un vantard parce que je ne suis pas un mec fan de la musculation. Mais vraiment, c'était sans plus, vraiment. Fabrice sait qu'on parle de toi.
Julien Corvo : Depuis, il a arrêté la musculation.
Jean-Charles Samuelian : Plus jamais, il n'est plus dans une salle.
Julien Corvo : Mais justement, il a l'impression d'être sur...
Teddy Riner : Dans une croisière.
Julien Corvo : Alors qu'en réalité, non, loin de là. Mais le fait d'être sur son profil, ça lui permet de faire de gros efforts sans s'en rendre compte réellement, de récupérer beaucoup plus vite pour repartir. Et en réalité, il fait de la haute perf quasiment à chaque entraînement.
Jean-Charles Samuelian : Super intéressant. Et cette haute perf, tu l'as fait monter progressivement dans le temps aussi ?
Julien Corvo : Bien sûr, bien sûr. Ce qu'on a pu faire ce matin, ce n'est pas ce qu'il fera dans une semaine et dans deux mois, bien évidemment. Après, il faut se caler sur les objectifs futurs, mais toujours avancer, crescendo, comme on dit. C'est important.
Jean-Charles Samuelian : Il y a beaucoup dans la science et la médecine de la longévité. Il y a l'angle de construire du muscle, mais il y a aussi celui de la souplesse et des articulations. Est-ce que c'est quelque chose que vous travaillez aussi ensemble ? Et comment tu réfléchis à ça dans ton métier ?
Teddy Riner : La souplesse, je dirais plus l'équilibre, c'est le travail avec le staff médical, c'est vrai qu'il y a souvent un peu de prévention, parce qu'il faut aller chercher les muscles profonds. J'ai un certain âge, le judo, c'est un sport ultra contraignant. Il faut toujours, après séance, même s'il le fait beaucoup, penser un petit peu à travailler les articulations, les étirements, les muscles, tout ça.
Jean-Charles Samuelian : Et à quel point tu adaptes - j'essaie de connecter les différents points - mais est-ce que tu vas réfléchir, par exemple, à une nutrition spécifique de Teddy la veille ou le jour même par rapport aux exercices que tu vas faire ? À quel point tu essaies de connecter les deux ?
Julien Corvo : Non, c'est plus par rapport au nombre d'entraînements, au rapport de charge lucide. Parce que, effectivement, là, on a deux entraînements dans la journée. Oui, un ajustement qui se fait par rapport à ça. Quand il y a une phase de décharge, bon, le laisser se faire plaisir à ce moment-là, ça peut être intéressant aussi. Après, ça dépend où il se situe d'un point de vue poids, mais ça peut être très bien. On a fait une très grosse journée. Allez, la petite crêpe au Nutella, c'est le jour.
Jean-Charles Samuelian : Et c'est le poids que tu suis le plus ou est-ce qu'il y a d'autres choses ?
Julien Corvo : Non, je regarde beaucoup le visuel, moi. Parce que le poids, ça veut dire tout et rien.
Jean-Charles Samuelian : Tu construis du muscle, tu augmentes ton poids et en fait... C'est ça.
Julien Corvo : On peut prendre deux personnes qui font la même taille et le même poids, et visuellement, ça n'a rien à voir.
Jean-Charles Samuelian : Donc, c'est vraiment un suivi visuel ?
Julien Corvo : Oui, de savoir un peu où sont les zones à diminuer.
Jean-Charles Samuelian : Et tu disais que depuis que tu t'es entraîné comme ça, non seulement sur le tatami tu es meilleur, mais aussi tu es plus équilibré dans ta vie. Comment ça se ressent, ça ? Quels ont été les changements que tu as vécus ?
Teddy Riner : Déjà, comment je pourrais dire ça ? Quand physiquement, on se sent mieux, que vos résultats sportifs à l'entraînement sont au top, ça enlève une grosse décharge. Ma vie, c'est le judo. Quand ça ne va pas, quand on est en stage, je n'arrive pas à trouver la solution sur l'adversaire, c'est comme si tout mon univers s'effondrait. Après, ils ont du boulot, mais moi, je travaille pour avoir des résultats. Du coup, parfois, c'est vrai que ça peut ne pas me plaire. Du coup, je veux très vite trouver cette solution. Mais lorsque tout va bien dans ma vie sportive, forcément, tout roule. Je mange équilibré, je mange correctement, les heures de sommeil sont respectées. Du coup, j'ai beaucoup plus d'énergie dans ma vie de tous les jours pour pouvoir tenir face à mes différentes casquettes. Donc, oui, c'est un tout. C'est un socle.
Jean-Charles Samuelian : Et tu parlais du sommeil. À quel point le sommeil et la récupération rentrent dans votre pratique à tous les deux ?
Teddy Riner : C'est simple. Après, il sera plus... détailler tout ça, mais je vois, quand je n'ai pas une très bonne nuit ou des heures de sommeil respectées, je vois comment, quand on prend les différentes courbes, ma peau est enflammée, le poids ne se perd pas facilement. Pas pareil. Et du coup, tout de suite, "qu'est-ce que t'as fait hier soir ? À quelle heure tu t'es couché ?" Et tout de suite, on a les réponses. Le corps ne ment pas. C'est dingue.
Jean-Charles Samuelian : Et le sommeil, on vient de faire un podcast sur le sommeil, à quel point c'est la clé de voûte.
Julien Corvo : C'est très important. C'est un des piliers aussi. La performance, c'est ça. Si on fait de bonnes choses dans tous les domaines, on a beaucoup plus de chances de performer comme on le souhaite. Et le sommeil, c'est très important.
Jean-Charles Samuelian : Et du coup, tu lui as imposé des heures de coucher ?
Julien Corvo : Non, Teddy, c'est quelqu'un quand même qui veut le meilleur. Et il sait que pour avoir le meilleur... faire des sacrifices. En tout cas, il faut avoir une conduite, pas exemplaire, parce qu'il ne faut pas être rigide et strict au plus haut point. Mais il sait qu'il y a certaines choses à faire. Et de ce côté-là, je n'ai pas besoin de me cacher pour voir s'il sort ou si...
Teddy Riner : Je roule.
Julien Corvo : Il sait, il sait. Il sait.
Jean-Charles Samuelian : Il est sérieux là-dessus.
Julien Corvo : Et puis, quand la nuit n'a pas été bonne, il a la possibilité de faire une petite sieste pour pouvoir récupérer. On réajuste aussi l'entraînement, bien évidemment. On lui dit, fais attention à ce que tu manges aussi. Donc, il y a d'autres leviers. Quand l'un n'est pas optimal, on ajuste avec les autres.
Jean-Charles Samuelian : On ajuste sur les autres. Tu parlais tout à l'heure, par exemple, du volume de glucides que tu vas donner selon le volume d'entraînement que tu vas faire. Est-ce qu'il y a d'autres éléments de la nutrition que tu gères ?
Julien Corvo : Il faut qu'il s'hydrate bien. J'essaie de voir s'il boit bien pendant la séance, s'il boit entre les repas, s'il évite de trop boire pendant le repas pour la digestion et tout. S'il ne grignote pas. Donc non, c'est des petites choses comme ça, de la vie de tout le monde en fait. Parce qu'on parle des sportifs.
Jean-Charles Samuelian : L'idée, c'est de l'appliquer à tout le monde.
Julien Corvo : Exactement.
Jean-Charles Samuelian : Et voilà un petit peu les choses qu'on peut observer. Si tu prends toutes tes années au plus haut niveau est-ce que tu as ressorti quelques principes ou deux, trois principes essentiels de la préparation, qui sont un peu tes mantras ?
Teddy Riner : L'hygiène de vie. Les trois choses pour moi qui font que j'ai performé, c'est un équilibre au niveau d'une bonne préparation physique, techniquement au top, mentalement, je dirais plus qu'excellent. Même si on ne peut jamais être excellent, c'est très compliqué. Et je vais dire, voilà, quand tu as ces trois-là à un très bon niveau, en général, ça envoie du très lourd, mais dans tous les secteurs. Et ça ne sert à rien pour moi, quand on parle de niveau, d'être bon que dans un secteur. Il faut être bon à un très bon niveau dans les trois. Ça sert à rien d'être là, là, là. Ça n'ira pas loin. Il faut être à un bon niveau dans les trois, ça suffit pour gagner et aller très loin dans la haute performance, la compétition, et plus, plus, plus, ouais.
Jean-Charles Samuelian : Et d'ailleurs, t'as plusieurs casquettes. Il n'y a pas que la performance sportive, t'es aussi entrepreneur, beaucoup de choses. Comment t'appliques, justement, et comment t'arrives à gérer toutes ces casquettes ? Parce que j'imagine que t'es déjà à la pointe de la performance sur le judo et rien que ça, ça prend un volume d'entraînement qui est immense. Comment tu gères, comment tu répartis ton temps et comment t'appliques tout ce que t'as réussi en tant que champion aux autres métiers ?
Teddy Riner : Déjà, moi, la première chose que je me suis toujours dit pendant toute ma carrière, c'est d'abord le judo et ensuite le reste. Donc, quand le judo est fait et qu'il reste un petit peu de temps, et bien là, on essaie d'équilibrer l'emploi du temps. Mais je dirais d'une manière générale, comment on y arrive et qu'est-ce qui me motive et qu'est-ce que je vais chercher. Je pense que tout ce que le judo m'a enseigné, j'essaie de m'en servir dans, par exemple, dans tout ce qui est le côté entrepreneurial. Ça veut dire gagner, consolider un dossier et l'emmener au plus haut. Il n'y a pas de... Quand on a connu le haut niveau, quand on a connu la difficulté de s'entraîner, de partir aux quatre coins du monde, de trouver de l'adversité, dans la vie de tous les jours, c'est un plaisir d'évoluer. On ne se fixe pas de limites. On est prêt à relever n'importe quel défi. Et je fonctionne comme ça, que ce soit avec mes enfants, que ce soit avec les différents projets que je peux avoir dans ma vie de tous les jours. Je le fais, un, avec le plaisir, parce que c'est important. Deux, quand je monte ou je rentre dans un dossier, c'est pour aller au bout. Ce que j'essaie d'inculquer à mes enfants, c'est peu importe ce que vous ferez dans votre vie, que ce soit sportivement ou bien dans votre vie de tous les jours, faites-le en vous donnant à fond, en essayant d'être le meilleur. Point. C'est tout ce que je veux.
Jean-Charles Samuelian : Et tu dis, c'est le judo d'abord, mais je t'ai vu faire les deux très bien en même temps. Il y a rarement un visiocon avec toi où tu n'es pas en train de faire du vélo. Un revoir à tes soutenus. Hyper intéressant. Et en parlant de tout ça, toute cette méthode et tout ce qui est en train d'être construit et que vous partagez, vous êtes en train d'essayer de le packager pour le plus grand monde aussi, et on pourra en reparler aussi le moment venu. Mais comment rendre ces méthodes holistiques d'approche accessibles à tous, ça va être un sujet qui va impacter beaucoup de gens, je pense.
Julien Corvo : Exactement, c'est ce qu'on souhaite.
Teddy Riner : Oui, c'est ce qu'on souhaite. Alors, après, je ne sais pas si on en parle déjà, mais on est en train d'essayer d'élaborer une application pour justement donner et proposer à un plus grand nombre de personnes l'envie de s'entraîner correctement, et surtout à leur façon à eux. Leur façon à eux, quand je dis ça, ce n'est pas "bon, moi je vais faire ça aujourd'hui", mais en fonction de leur neurotype. Voilà, on va évaluer avec cette application qui vous êtes et qu'est-ce que vous avez besoin et de quelle manière on va vous l'apporter. Et je trouve ça intéressant de pouvoir travailler tous ensemble dessus.
Julien Corvo : Ah oui, c'est un super projet que les gens, que le monde puisse s'entraîner comme un immense champion. Franchement, c'est vraiment un beau projet et bientôt, on pourra proposer ça à tout le monde, donc c'est top.
Jean-Charles Samuelian : On en reparlera. Mais c'est très excitant de connecter tous ces mondes-là et donner accès à ça à tous. Peut-être une dernière question. Tu parles beaucoup de cette volonté d'aller au bout, de se donner à fond, de la performance, d'essayer d'être le meilleur. Il y a des échecs parfois, et on a parlé d'une de tes premières défaites qui t'a amené à revoir ça. Comment tu as approché ce moment-là ? Comment tu l'as géré ? Et comment tu l'as surmonté ?
Teddy Riner : Je n'ai pas eu beaucoup d'échecs dans ma vie, mais à chaque fois, ça m'a permis d'être meilleur. Ça m'a permis d'être meilleur parce que je me suis enfermé, je me suis mis de côté, j'ai fait un état des lieux, j'ai pris conscience de pourquoi... En fait, la question, quand on perd et qu'on passe à côté de... Je dis ça, mais à chaque fois, je suis parti avec une médaille, mais... Pourquoi ? Pourquoi c'est arrivé là ? Qu'est-ce qui a fait que ça n'a pas marché ? J'essaie de me souvenir. Chaque étape. Qu'est-ce qui a manqué ? Qu'est-ce que je n'ai pas mis dans mon panier pour réussir à gagner sur cette compétition ? Pourquoi lui a gagné ? Pourquoi moi, je n'ai pas gagné ? Et quand j'arrive à trouver et à comprendre certaines choses, je me dis, ben, voilà, on va changer ça, on va mettre ça en place, on va faire ci, on va faire comme ça, pour que ça n'arrive plus. Voilà comment moi, je fonctionne. Et à chaque fois que j'ai eu un échec sportif, c'est comme ça que j'ai fait les choses pour pouvoir être meilleur. Et pour plus que ça m'arrive dans ma carrière.
Jean-Charles Samuelian : Et à quel point tu te... Ce que j'aime beaucoup dans tout ce qu'on a échangé, c'est se concentrer sur son profil, sur son neurotype, se développer, se dépasser soi-même, etc. À quel point aussi tu as des gens en face de toi, tu as d'autres... À quel point tu te compares ou tu essayes de ne pas te comparer ? À quel point tu regardes les autres ? À quel point tu t'inspires ?
Teddy Riner : Je ne regarde pas forcément ce que les autres font. Je m'informe. C'est-à-dire, je sais que cet adversaire, là, lui, il fait un judo avec les deux mains. Du côté gauche, comme du côté droit. Paf, c'est noté. Je sais que toi, par exemple, t'es droitier. Mais t'es un excellent droitier qui fait très bien judo. Paf, c'est noté. Lui, ça va être un gaucher relou anti-judo. Tu le notes. Derrière, tu travailles. Je vais mettre ça en place sur mon judo, qui sera capable de me contrer. Ton judo, ce judo-là, le judo de tout le monde. Mais jamais à dire "Ah, il fait ça, mais je vais pas pouvoir." Sinon, tu te neutralises. J'ai eu des entraîneurs qui me disaient "Non, faut pas faire ça, parce qu'il fait ça. Faut pas faire ça." Non. Se concentrer sur soi, être acteur de son combat. Les autres subissent. Ça change la donne. Quand tu commences à penser, "Mais lui, s'il fait ça, regarde ma position. Ah, mais lui, il fait ça", tu recules. Tu te mets en défense. Alors que si tu vas, tu fais... Tu imposes ton judo, tu imposes ta manière de mener le combat. Ça change la donne mentalement, mais aussi chez l'adversaire.
Jean-Charles Samuelian : Ça s'applique à la vie de tous les jours. En tout cas, l'entrepreneuriat, la vie dans l'entreprise, c'est comment choisir ses combats et comment y arriver.
Teddy Riner : Bien sûr.
Jean-Charles Samuelian : C'est hyper important. Extraordinaire. Est-ce qu'il y a d'autres aspects de la préparation et de la performance physique et de la performance de haut niveau dont vous aimeriez parler et je ne vous ai pas posé la bonne question ?
Julien Corvo : Le plus important, c'est que la personne croit en ce qu'elle fait, qu'elle y prenne du plaisir. Moi, je me souviens d'une anecdote où on faisait des cache-cache avec Teddy avant de faire l'entraînement.
Teddy Riner : Bah, oui.
Jean-Charles Samuelian : C'est vrai que tu vas être un peu dur à cacher. Mais ah, non...
Teddy Riner : Il était beau. Je trouve qu'il a galéré.
Jean-Charles Samuelian : Non, il était beau.
Julien Corvo : Il était même très bon. Alors, des fois, je me demandais comment il faisait.
Teddy Riner : Là, si je trichais...
Jean-Charles Samuelian : L'essentiel, c'est de gagner. Surtout dans un cache-cache. Un cache-cache, là, on a le droit. Voilà.
Julien Corvo : Mais après, il nous faisait des super séances.
Teddy Riner : Voilà.
Julien Corvo : On ne peut pas faire des cache-caches tout le temps, bien évidemment. Mais ce que je veux dire, c'est que...
Teddy Riner : Tu prépares la séance.
Julien Corvo : La personne doit kiffer ce qu'elle fait. Ouais. Elle doit y croire. Un bon entraîneur, c'est quoi ? Ce n'est pas celui qui vient avec la meilleure méthode, qui vient avec les meilleurs gadgets. C'est quelqu'un qui, quand l'athlète l'écoute, il se sent rassuré. Il comprend qu'avec lui, il devient plus fort. Si j'avais quelque chose à rajouter, ce serait ça. Il faut croire en ses rêves, croire en ce qu'on a envie. Et ça doit être un objectif commun avec son athlète. Teddy, je t'aime.
Jean-Charles Samuelian : Ben non, mais... Je ne sais pas quand il se rattrapera. Il y a une belle déclaration, c'est la première fois que j'ai ça.
Teddy Riner : Non, non, non.
Jean-Charles Samuelian : On ne peut pas couper mon texte. Si tu devais donner un conseil à Teddy qu'il n'a pas encore entendu, ça serait lequel ? Ou que tu as envie qu'il entende ?
Julien Corvo : Un conseil qu'il n'a pas encore entendu ?
Teddy Riner : Attention, les conseils ne sont pas les bienvenus.
Jean-Charles Samuelian : Ouais.
Julien Corvo : Quel conseil je pourrais lui donner que je ne lui ai pas déjà dit ?
Jean-Charles Samuelian : Ou que t'aimerais lui redire ?
Teddy Riner : Je répète, les conseils ne sont pas... Vas-y, vas-y.
Jean-Charles Samuelian : Comment je peux le dire ?
Teddy Riner : Mais bon...
Julien Corvo : Non. Ça serait de mettre le curseur en adéquation avec... où tu te situes à l'instant T. Parce que ce garçon...
Jean-Charles Samuelian : Il est capable.
Julien Corvo : Il est capable. Après une blessure, trois mois sans judo, se retrouver face à des personnes qui sont dans les 20 meilleurs mondiaux. Et ne pas être content parce qu'il ne les a pas fait tomber. Et je me souviens d'un stage en Hollande, où il y avait un... "Oh, je suis une merde. Ah, non, j'ai pas réussi à les faire tomber." Mais attends, t'es... Il fallait reprendre avec lui. "Mais regarde, ça, ça, ça." Reprendre le contexte. Et ça a été difficile. On parlait de difficultés. Qu'est-ce qu'on a rencontré comme difficultés ? C'était vraiment difficile qu'il comprenne que non, c'est normal que tu en sois là. Si j'ai mal à une jambe, le 100 mètres, je le cours en 10 secondes, d'habitude. Là, je cours en 11. Est-ce que c'est mauvais ? Non. Et lui pensait que oui.
Teddy Riner : C'est comme ça que je suis.
Jean-Charles Samuelian : Je fais du poli. C'est ça qui fait de toi un champion. Mais trouver le bon curseur, c'est compliqué, mais hyper important. Peut-être une toute dernière chose que je vois. Le temps file, mais que j'ai complètement oubliée.
Teddy Riner : Parfois, il ne faut rien faire.
Jean-Charles Samuelian : Exactement. Le dernier point que j'avais, en effet, c'était sur... J'avais une super bonne idée, elle a complètement disparu. Tant pis, on coupera ça.
Teddy Riner : Dis que je t'aime aussi.
Jean-Charles Samuelian : Oui, lui, on le garde. Je voulais vraiment vous remercier à tous les deux. Il y avait deux choses, mais tu te mets quand même beaucoup de pression de la performance. Il y a aussi beaucoup de pression du regard extérieur, j'imagine, du monde, des attentes. Pas tant que ça ? Tu arrives à prendre de la distance ?
Teddy Riner : Pas tant que ça, parce qu'en fait, moi, je me souviens, et je crois que je le citerai et je ne me lasserai jamais de le citer, parce que c'est ce qui m'a conduit pratiquement 19 ans après. La première fois que j'ai fait... dans une interview, j'ai été invité sur le plateau de Laurent Ruquier. C'était ma première télé. Je pose la question à ma mère, "vraiment ? J'ai un peu le trac avec tout ça." Elle me dit, "sois toi-même. S'il t'aime, il t'aime. S'il t'aime pas, tant pis, tu seras toujours le fils de ta maman." Autoroute. Autoroute, voilà. Je suis toujours resté moi-même, naturel. Et on doit juste garder dans un coin de la tête qu'on est au-devant de la scène et qu'il y a de la jeunesse qui vous regarde et qu'il faut être quand même... et on a ce rôle d'exemple. Après, il faut être soi-même et il faut foncer.
Jean-Charles Samuelian : Et tu viens de me rappeler, du coup, la question que je voulais vous poser à tous les deux, mais qui me semble extrêmement importante. On est dans une société qui est de plus en plus sédentaire, c'est-à-dire les gens bougent moins, moins de mouvements. Quels sont les messages que vous voulez faire passer sur la place du sport dans notre société et à quel point il faut pousser, à quel point il faut communiquer ?
Teddy Riner : Moi, je dis très souvent ne pensez pas au sport comme une contrainte, pensez sport comme un plaisir, comme la santé, comme quelque chose qui va vous faire du bien. Parce que c'est la réalité, et parce que ce n'est pas que le haut niveau ou certaines personnes qui peuvent se le permettre. Le sport, c'est pas forcément aller dans une salle. Le sport, c'est pas forcément avoir un vélo. Le sport, c'est marcher, c'est courir un petit peu. C'est pas une question ou une affaire de temps. Ça peut être 5 minutes par jour, ça peut être 15 minutes. L'essentiel, c'est de faire, c'est d'y prendre goût et que ça devienne naturel. Voilà, je n'irai pas plus loin.
Julien Corvo : Bravo, rien à ajouter, c'est parfait, c'est ça.
Jean-Charles Samuelian : Chez Alan, on a une phrase qui est "la santé, c'est tellement important et tellement sérieux qu'il faut la gamifier, qu'il faut en faire un jeu", en effet. Et c'est comme ça qu'on aide les gens à marcher plus, etc. Et c'est comme ça qu'ensemble, on va construire comment on peut aider les gens à trouver leur neurotype et être la meilleure version d'eux-mêmes. C'est hyper exaltant. Donc, merci beaucoup à tous les deux pour votre sagesse, pour l'inspiration que vous êtes pour nous tous. Et pour cette méthode qui mélange science et intuition, ressenti et performance. Et qui t'a amené, enfin, qui t'avait déjà amené, mais qui continue à t'amener au plus haut niveau et à te dépasser en permanence quand on pourrait penser, peut-être que tu étais déjà au pic et en fait, on peut toujours aller plus loin, c'est ce dépassement de soi. Mais en le rendant fun, en le rendant quasiment un art, comme vous racontiez si bien tous les deux. Donc merci d'avoir partagé ça avec tout le monde. Essayer de faire en sorte que la santé, la prévention, soient un jeu pour tous, qu'on puisse prendre du plaisir à se développer physiquement, mentalement, à penser à cette vision holistique de la nutrition, du sommeil, et comme quoi, toutes les parts de l'équation sont connectées dans cette performance de la vie de tous les jours. Donc, merci à vous et à tous. J'espère que vous avez autant apprécié l'échange que j'ai apprécié. Déclaration d'amour. Il y a eu des... Il y a eu des conseils extraordinaires. Si vous avez aimé, abonnez-vous à Healthier Humanity, le podcast sur la longévité, la santé et le bien-être. Et il y a encore plein d'autres épisodes qui arrivent, difficilement aussi bons que celui-ci. Donc merci beaucoup à tous les deux.
Le guide des dirigeants optimistes à l'ère de l'IA
L'intelligence artificielle transforme nos organisations. Chaque dirigeant peut devenir architecte de ce changement, à condition de considérer l'IA comme levier culturel. Dépassez les idées reçues et explorez comment l’IA révèle le potentiel humain.